LETTRES à D., à Laurence, à Helga… Que ce soit de façon
autobiographique ou fictionnelle, la dernière lettre à une femme aimée continue
à rencontrer un beau succès littéraire, tant auprès des auteurs que des
lecteurs. Celui que Bergsveinn Birgisson fait écrire est un vieil homme dont
les souvenirs commencent à peser trop lourd dans la mémoire et que les regrets
rongent, malgré sa mauvaise foi plus ou moins assumée d’un chapitre à l’autre.
Il sait également se montrer tour à tour touchant, grossier, tendre, râleur,
amusant, souvent franc et décidé à répondre enfin à cette femme qu’il n’a pas
su garder à ses côtés :
Chère Helga, […] je me suis trouvé à la croisée des chemins. La sente que j’avais suivie jusque-là bifurquait. J’ai emprunté les deux voies, mais ni l’une ni l’autre comme il aurait fallu. En ce sens que j’ai suivi l’une, l’esprit tout le temps fixé sur l’autre. Sur toi. [p. 105-6]
Par des scènes et des mots crus, sans fioritures, pourtant non
dénués de poésie à leur façon, il exprime tout l’amour et le désir ressenti,
puis contenu, pour cette femme.
Cette lettre d’amour est également le récit d’une vie à son
crépuscule : le narrateur revient sur son passé, les gens qu’il a côtoyé
et qui sont pour la plupart morts au moment où il écrit ces lignes, son métier
de contrôleur des réserves de fourrage du canton, les évolutions survenues dans
la vie rurale, ainsi que les premiers exodes vers la ville. Sans les dénigrer
tous, il ne voit pas toujours d’un bon œil ces transformations et regrette par
exemple les sensations que ne connaissent plus les citadins. Par ces
descriptions rurales et son attachement à sa terre natale, il se rapproche du
narrateur de Djamilia : bien qu’originaires
de lieux différents, Tchinghiz Aïtmatov et Bergsveinn Birgisson font preuve d’une
même sensibilité terrienne et sensorielle, qui se manifeste dans de très belles
descriptions, à la fois concrètes et poétiques.
Malgré la beauté de ce texte et les émotions qui ont
accompagné ma lecture, j’émettrais un petit bémol dans le chœur des louanges
qui l’entoure : avant que le final ne vienne éclairer cet aspect
biographique, celui-ci me paraissait très artificiel dans le cadre d’une lettre
et gâcher en partie cette conception épistolaire du roman. Sont en effet relatés
de nombreux faits qu’ignore le lecteur, mais que connaît parfaitement la
destinatrice de ce courrier. Dans ces conditions, une autre forme romanesque
paraissait tout aussi bien convenir et créer moins d’invraisemblance.
Une lettre d’amour, aussi bien à une femme qu’à une terre.
Édition Zulma (Paris), 2013 – 1re traduction
française
1re publication (Islande) : 2010
Également disponible dans l'édition de poche Points
* Conseil et LV de Philisine *
Également disponible dans l'édition de poche Points
* Conseil et LV de Philisine *
Je suis en train de le finir et suis pour l'instant du même avis que toi...
RépondreSupprimerAprès un chœur d'éloges unanimes, j'ai l'impression que plusieurs avis mitigés apparaissent (peut-être en réaction et suite à des attentes élevées?) Je viendrai lire ton article si tu en écris un ensuite.
SupprimerJe reste sur ma première impression longtemps après. Bisous
RépondreSupprimerUn vrai coup de cœur digne de figurer chez Galéa alors :) J'espère encore trouver le mien... Bisous.
Supprimerje ne connais pas ce livre à lire pour avoir un avis personnel sur cette lettre
RépondreSupprimerUn très beau roman, j'espère qu'il te plaira autant qu'à Philisine.
SupprimerHein, je sens que ce livre va faire débat...l'une de mes collègues a aussi été gênée par certains aspects qui ont empêché le coup de coeur...J'ai vraiment hâte de le lire Mina, même si tes réticences m'inquiètent parce que je peux être sensible à certains points que tu abordes....Mais SOphie et Philisine sont si bouleversées que ça me réjouit ! Quel bonheur cette rentrée!!
RépondreSupprimerLe débat semble commencer à s'amorcer sur les blogs, en effet. En ce qui concerne mon bémol épistolaire, c'est un point sur lequel je chipote souvent, car j'attends beaucoup de ce genre, mais tous ne l'ont pas perçu comme moi. J'ai aussi tout de même comparé ce roman à l'une des plus belles histoires d'amour au monde à mes yeux (Djamilia), donc je n'étais pas si loin du coup de cœur. Je t'en souhaite une belle découverte et espère que tu seras aussi séduite que Sophie, Marilyne et Philisine, grâce à qui j'ai lu ce roman.
SupprimerComme tu le sais, un petit bonheur de lecture dont j'ai adoré le ton. Je reconnais que je me suis moins attachée à l'aspect épistolaire ayant plutôt eu l'impression de lire un testament. Pour moi, le narrateur parlait autant à Helga qu'à lui-même, justement parce que c'était l'heure de ce départ qui n'a jamais eu lieu.
RépondreSupprimerJe n'ai perçu ce "testament" et ce récit à soi-même qu'à la fin, donc un peu trop tard malheureusement. Je suis (trop) pointilleuse avec les récits épistolaires, comme je le disais à Galéa ci-dessus. Je garde néanmoins un excellent souvenir du ton du roman et ne regrette pas cette découverte, que je te dois.
SupprimerComme Marilyne, je ne me suis pas arrêté sur le genre épistolaire. J'ai absolument tout aimé dans ce roman !!!!
RépondreSupprimerJe l'ai lu dans ton article, mais ne suis décidément pas d'un tel enthousiasme (j'en manque en ce moment)
SupprimerJ'ai carrément été agacée par ce personnage; mais c'est un avis plein de subjectivité. C'est une lecture qui a fait remonter les mottes de terre de mon enfance par paquets!
RépondreSupprimerMon avis est tout aussi subjectif, et la distance conservée pour ma part envers ce personnage m'a épargné l'agacement comme l'attachement. J'en suis restée aux mots, aux paysages, en dédaignant le messager. Ce roman n'est pas encore mon coup de cœur de la rentrée non plus (je me console avec une relecture d'une autre rentrée)
SupprimerBonjour Mina,
RépondreSupprimerJe partage ton avis sur La lettre à Helga, même si je n'ai pas été gênée par la forme épistolaire, l'ayant prise dès le début comme une sorte de testament, comme le dit plus haut Maryline. Je ne savais pas à ce moment là qu'Helga était décédée, mais l'apprendre ne m'a pas étonnée.
Je viens de publier un billet aujourd'hui sur ce livre, je n'avais donc pas lu ta chronique avant pour ne pas être influencée, mais je vois que nous nous rejoignons sur beaucoup de points. En fait, j'ai lu ce livre deux fois, ayant ressenti la nécessité de le relire pour le chroniquer et j'ai découvert beaucoup d'éléments à la seconde lecture. Ma deuxième impression a même été bien meilleure que la première ! D'où mon avis très favorable, puisque j'y ai trouvé de la tendresse, de la poésie, de la réflexion et aussi beaucoup d'humour. Seul bémol pour moi, des passages un peu crus, mais cela reste une découverte!
Je prends note des références de Djamilia. Merci !
Florence
Bonjour Florence,
SupprimerJe n'ai pas été vraiment étonnée qu'Helga soit décédée, mais n'y avais pas pensé pour autant et, comme je l'ai dit à d'autres, suis assez exigeante en matière d'épistolaire. Cette forme a été exploitée de manière exceptionnelle par le passé, suffisamment pour fournir des modèles aux auteurs qui s'y risquent, selon moi.
Je viens d'aller lire ton article, dans lequel je me retrouve assez bien. Tu as également insisté sur un point que j'ai délaissé dans mon article, l'hommage à la littérature scandinave, très présente tout au long du roman. La crudité ne m'a personnellement pas dérangée, peut-être par habitude.
Je suis contente de lire qu'au moins une personne a remarqué ma référence à Djamilia, un roman exceptionnel, qui devrait te plaire si je me réfère à celui-ci.
Je suis bien d'accord pour le bémol émis (surtout en ce qui concerne les détails sus par les deux, et l'auteur s'amusant à dire "tiens, on n'a jamais fait ça et ça sera mon plus grand regret" pour dire deux pages plus loin "ah ben si, on l'a fait, et pas qu'un peu"...), c'est ce qui m'a un peu gâché la lecture qui, bien que toujours agréable, en est plutôt devenue oubliable à mes yeux. En matière de dernière lettre à une aimée, j'ai beaucoup (beaucoup) plus aimé "Confiteor".
RépondreSupprimerJe crois que j'avais lu ton avis et me souviens de ces bémols, auxquels je n'avais pas accordé d'attention (le "on ne l'a pas jamais fait" est en effet de trop quand on y repense, même en connaissant la fin...)
SupprimerJe note "Confiteor" dans ce cas, je continue à rechercher des lettres comme celle-ci, malgré mon bémol.
Un des plus beaux livres lu l'année dernière... Quel texte...
RépondreSupprimerUn texte qui me reste, malgré le petit bémol.
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